Qu’est-ce qu’une maladie ou un handicap invisible ?

Qu’est-ce qu’une maladie ou un handicap invisible ?

Si le terme de « maladie invisible » n’existe pas au sens strict dans le milieu médical, il est généralement usité et constitue un concept socialement accepté.

Cette forme de handicap touche aujourd’hui jusqu’à 9 millions de personnes dans le monde : « Contrairement aux idées reçues, seulement 2% des personnes en situation de handicap sont en fauteuil roulant et 80% des handicaps déclarés sont invisibles. Un handicap ou une maladie invisible est non perceptible si la personne touchée ne le mentionne pas. » (HEROIC Santé)

L’invisibilité de ces maladies relève de multiples causes. D’une part, certains symptômes se manifestent seulement à l’intérieur du corps (maux de têtes, nausées, vertiges, fatigue chronique, douleurs…). D’autre part, nombre de malades « cachent » ce que la maladie leur fait vivre, notamment par manque d’inclusivité dans nos sociétés. En effet, l’inaccessibilité dans l’espace public, les phrases culpabilisantes de la part de l’entourage comme « tu n’as pas l’air malade ! », les discriminations à l’emploi ou les difficultés dans les relations amoureuses et amicales découragent les malades à s’exprimer à propos de leur vécu. Afin d’éviter le rejet, la stigmatisation et se voir refuser leurs droits, de nombreuses personnes dont la maladie est invisible font le choix de taire leur réalité.

Ces maladies invisibles englobent des troubles et des symptômes très divers. Ce sont, à titre d’exemple, les maladies auto-immunes comme la sclérose en plaques, les cancers, les troubles cognitifs et comportementaux, la dyslexie, les personnes en attente de greffe - comme c’est le cas avec la mucoviscidose -, les troubles psychiques comme la dépression ou le trouble borderline, ou encore la fibromyalgie.

Par ailleurs, certaines maladies peuvent jongler entre invisibilité et visibilité. On peut nommer, à titre d'exemple, la sclérose en plaque. Cette dernière peut rester invisible durant des années, puis se révéler visible en fonction de son avancement. La personne malade peut se retrouver à devoir se déplacer en chaise roulante alors qu’elle a pu jusque-là, se déplacer sur ses deux jambes alors même que la maladie était présente depuis des années.

L’intérêts des sociétés à ignorer la présences des malades invisibles

L’intérêts des sociétés à ignorer la présences des malades invisibles

Considérer les témoignages de personnes en situation de vulnérabilité, de fragilité et/ou de dépendance c’est en être sensible, et c’est en se sensibilisant que l’on peut devenir un.e allié.e. Comme l’exprime si bien Clint Smith, écrivain : « Un.e allié.e admet qu’il ne pourra jamais comprendre les expériences de vie des groupes opprimés, mais n’en fait pas une excuse pour ne pas penser/agir. Il ne reste pas silencieux et affronte les oppressions quotidiennement et cherche à les déconstruire au niveau institutionnel au risque de les subir. Être un.e allié.e implique de tisser des liens avec les personnes discriminée en raison de leur identité. »

Considérer les personnes malades peut prendre des formes diverses mais c’est avant tout, porter un intérêt à agir pour leurs besoins spécifiques. En voici quelques exemples :

• Considérer des groupes ou des minorités, c’est en premier lieu laisser place à leurs paroles dans l’espace public. Or aujourd’hui, les personnes malades et handicapées sont peu représentées – pour ne pas dire inexistantes - dans la vie publique et politique. Seules les personnes valides possèdent cette légitimité.

• Considérer une communauté c’est aménager l’espace publique. Cela passe par la création de lieux adaptés et d’infrastructures aménagées pour les personnes invalides, handicapées, obèses, neuroatypiques… Il n’est pas rare de voir ces groupes de personnes vivre de manière isolée car l’accès aux espaces publiques leur est limité (manque de rampes pour l’accès aux chaises roulantes, absence de siège pour personnes obèses dans les trains, peu de de lieux culturels engagés à temporiser les sons et lumières qui affectent les personnes hypersensibles, etc.)

• Considérer les réalités et les souffrances vécues des malades c’est répondre à leurs droits : droit à une rente (invalidité, impotent…), droit à des prestations (ménage à domicile, transporteurs...), droit à un accompagnement médical et thérapeutique de qualité.

Inévitablement, prendre en considération les personnes vivant avec une maladie invisible touche aux ressources financières des communes, des cantons et du pays. En effet, ces besoins ont un coût qu’il est difficile, voire impossible, de porter individuellement sans faire appel aux infrastructures publiques. À titre d’exemple, le prêt de salles pour l’organisation de groupes de paroles, la location de logements aménagés et subventionnés pour les personnes invalides ou encore, l’octroi d’une rente.

Il est important de rappeler que les maladies touchent directement la vie professionnelle des personnes qui en sont atteintes (baisse du pourcentage de travail, absentéisme, etc.) et amènent inexorablement une précarité financière ou des situations délicates dans ce domaine, qui fragilisent davantage les malades et leur entourage. D’autant plus que les personnes malades, dans la précarité de leurs ressources et au travers de leur fatigabilité et du sentiment de honte qui les incombe, manquent de leviers pour militer pour leurs droits.

La réponse politique est à ce jour inexistante et les solutions pour visibiliser les personnes malades ne sont pas prises en compte dans les débats publics. Il n’y a donc aucun intérêt pour les politiques de visibiliser la situation, et par conséquent d’octroyer des budgets, pour des personnes qui peinent à élever leur voix.

Certaines questions sont carrément éludées et peu de réponse concrète existe. Par exemple, à quelle prestation une femme malade et monoparentale a le droit pour alléger son quotidien ? Une garde à domicile ? De l’aide aux devoirs pour ses enfants ? La livraison des courses ? Les prestations sont rares et lorsqu’elles existent, elles sont rarement réclamées par méconnaissance de leur existence. Même les acteurs et actrices dont l’activité professionnelle concerne ce domaine (assistants sociaux, avocat.es…) manquent parfois d’informations claires à ce sujet.

Les conséquences de l’ignorance des personnes malades et handicapés sont multiples. Ci-dessous, une liste non-exhaustive :

• Aggravation de la maladie
• Troubles psychiatriques
• Dépression
• Isolement
• Précarité
• Hospice
• Consommation de produits illégaux
• Expulsion de domicile
• Suicide

L’érrance médicale

L’érrance médicale

Les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes malades sont poussées à l’extrême lorsque le manque de reconnaissance vient directement du corps médical.

Le milieu médical peut aussi être à l’origine des souffrances vécues par les personnes atteintes de maladies invisibles. Si les symptômes ne sont pas entendus par les médecins et spécialistes, aucun accompagnement médical adapté n’est proposé. Ces situations peuvent alors créer des accroissements dans les symptômes et douleurs et affaiblir davantage le/la patient·e. Par ailleurs, comme l’explique le Dr Stéphane Gayet, cette conséquence est renforcée auprès des femmes « étant donné le machisme universel qui n’épargne pas le monde médical. »

Les maladies invisibles peuvent par ailleurs être indétectables au travers des techniques d’imageries médicales ou ne répondre à aucun critère validé par la médecine allopathique. Aussi, les personnes malades peuvent durant des années, voire toute une vie, rester emprisonnées dans cet espace qu’est l’errance médicale. Lorsque les examens médicaux effectués ne révèlent rien de significatif, il n’est pas rare que les médecins déduisent que le/la patient·e n’a rien malgré ses différentes plaintes. La personne se retrouve non seulement malade, mais aussi méprisée. Elle est alors victime de négligences, voire de violences médicales.

De ce fait, des milliers de personnes atteintes de maladies chroniques sont, à l’heure actuelle, en recherche active d’un diagnostic. Ces maladies sont par ailleurs en constante évolution et « elles constituent pour l’organisation mondiale de la santé (OMS) un énorme problème de santé publique et un immense champ de recherche pour les décennies à venir. » Dr Stéphane Gayet, médecin, infectiologue et hygiéniste, praticien au CHU de Strasbourg dans « L’errance médicale chez les femmes » écrit par Charline Girardel.

À titre d’exemple, la maladie avec laquelle vit Tamara Pellegrini, le syndrome du mal de débarquement (MdDS), est indétectable via les techniques d’imagerie médicale (IRM, radiographies…). Le diagnostic de cette maladie neurologique est généralement posé par exclusion. C’est une consultation chez un médecin ORL, spécialisé dans les troubles vestibulaires, qui a permis le diagnostic et qui a de ce fait évité l’errance médicale pourtant fréquente pour cette maladie.

En effet, une majorité des personnes atteintes de ce syndrome vivent dans l’errance, parfois une vie entière. Tamara en a pris connaissance lorsqu’elle est passée dans l’émission « Ça commence aujourd’hui » en janvier 2021 sur France 2 pour parler du syndrome dont elle est atteinte. Suite à son témoignage, des milliers de personnes l’ont contacté pour lui confier vivre avec les mêmes symptômes, parfois depuis 20 ou 30 ans, sans jamais avoir été diagnostiqué. Force est de constater que la majorité de ces personnes sont à présent atteintes de dépressions sévères étant donné la non-reconnaissance de leur maladie et par ricochet, le manque d’espace dédié à l’expression de leurs besoins. Sans diagnostic, qui est l’élément qui fait foi, une prise en charge adaptée reste inexistante.

Au travers de ce constat, l’association Les Invisibles s’engage à offrir un appui et une considération extérieure aux personnes qui traversent une période d’errance médicale.


Chaque personne que vous rencontrez mène un combat que vous ne pouvez voir.

Robin Williams